Je suis une femme normale ; je ne suis pas criminelle. Et pourtant, j’ai perdu la garde de mon fils pendant quatre mois, le temps d’une saison, l’automne de ma vie. On me l’a pris. J’ai cru le perdre à jamais, et voici comment.
Je suis allée aux Etats-Unis pour voir des amis. Un soir, lors d’un dîner, entre « amis » donc, j’allume une cigarette. J’allume des cigarettes. Pas toutes à la fois, les unes après les autres, comme on fait quand on fume. Plus loin, dans une chambre, fermée et aérée, l’enfant dort. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Une des invitées est étonnée par le fait que je fume « alors que j’ai un enfant ». Je lui explique que l’enfant vit dans un environnement sain, qu’on ne fume que dans la cuisine, généralement, et que toute exception faite se fait près d’une fenêtre. Première erreur. Ne jamais se justifier auprès d’inconnus ; les laisser se tortiller dans la couche sale de leurs pensées grotesques.
Elle essaie de me convaincre que je suis une mauvaise mère car toute bonne mère se sacrifie. Ah bon ? Savais pas. Enfin…. Savais, mais dans le contexte, vois pas le rapport. La soirée se termine ; je parviens à ne pas lui faire bouffer un sandwich aux phalanges car, bonne mère, je réserve mon apprentissage de la violence à des circonstances plus drôles. Celle-là ne mérite pas mon coup de boule. L’enfant et la mère rentrent. Coucouche panier, on dort sur nos quatre oreilles.
Le lendemain, le téléphone sonne. C’est le D.C.F.S, Department of Children and Family Services, l’équivalent américain de la D.A.S.S. Au bout du fil, un robot femelle m’explique qu’on leur a signalé la veille que je fume en présence de mon enfant. J’éclate de rire et fais quelques blagues du genre « oui, y’avait plus d’héro et mon mari avait fini toute la coke. » Silence. Aïe, mon ascendant Jean Yanne prend mal chez les Yankees. J’explique que c’est une blague et demande si elle, de son côte, est en train de m’en faire une. Pas du tout, c’est très sérieux ; quelqu’un passera à 11h30. Sur ce, raccrochage du bigophone et a-ciao. J
’appelle l’amie chez qui le dîner a eu lieu. Ses bras lui en tombent, les miens aussi, ça fait beaucoup de bras parterre…. Elle vient chez moi pour aider, au cas où… A 11h30, la robote du téléphone arrive. Je la laisse entrer. Avant même de me saluer, elle renifle l’air, mais ne sent rien, sûrement pas la cigarette. Elle marche directement vers la cuisine et constate la présence d’un cendrier où gisent trois cadavres de Gauloises comme des vieilles dames sur un banc au soleil, et une quatrième, qui fume encore. Mon amie essaie de dire que c’est elle, mais elle vient d’arriver et le fait qu’elle porte encore son manteau et son sac trahit son mensonge. Tout le monde s’assoit ; on me demande d’éteindre la quatrième. J’ai envie de dire : « t’es gentille, mais chui quand même chez moi », sauf que je ne suis pas chez moi, et qu’elle n’est pas gentille. La preuve, elle m’a fait enlever mon enfant pendant quatre mois, le temps que la justice française intervienne (un avocat nommée Nicolas a volé à mon secours) et que je récupère la gare de ma chair, mon sang.Voilà.
C’était en 2011. C’était dans trois ans, lorsque toute humanité aura été méthodiquement éradiquée, lorsque nous aurons perdu absolument et irrémédiablement le sens des proportions, lorsque « sens commun » ne voudra plus rien dire et sera relégué au statut de souvenir lointain, comme «amour courtois » aujourd’hui, lorsque les critères de jugement pour décider de la valeur d’une personne ne seront plus éthiques ou moraux mais cliniques et factuels, lorsque, enfin, nous nous serons habituées à mener les mauvais combats contre les mauvais fautifs pour défendre les mauvaises victimes et les mauvaises causes.
Lentement, doucement, pas à pas, nous faisons erreur.
Je tombe de haut.
Les hauteurs, la chute, le divin, les mirages. Je veux cette phrase en épitaphe, je la veux sur ma tombe, histoire que ma mort fasse sourire les passants. Je voudrais aussi, pendant que j’y suis, je voudrais aussi que ma tombe ait la forme d’un comptoir zinc. Qu’on vienne s’accouder sur moi pour bavarder, me dire. Après tout, je serai muette, muette comme une tombe.
Ma génération, elle est bavarde. Ma génération, je la déteste. Aucun gout de l’extrême. Pas de Jeanne d’Arc, pas de Mata Hari. Que des banales. « Et pour Mademoiselle, ce sera ?", "Un kilo de banales, s’il vous plait, merci ». Ce serait plus simple si les banales s’habillaient en jaune, on pourrait les repérer plus facilement, naviguer entre celles qu’on surnommerait « les vagues ». Vagues dans l’âme, vagues dans la vie. Ici, tout flotte. On s’y perd dans cette mer, on s’y fond, fond, fond. Tout glissait, comme sur une peau de… Oh, le vilain chagrin.
C’est ici qu’il pousse, le chagrin, c’est ici qu’elle pousse, la tristesse, dans ce pays à ronces, le terreau de Ronsard, les gros fiers à bras, narcisses de leur langues, les deux pieds dans la vase de leur héritage, leur hérisson, cette France. Pas franche. Des échanges en fils barbelés. Chaque conversation ici, dans ce Paris si peu pascalien, est un camp concentré, un lieu de mort, virages et pièges à chaque tournant ; une vie en apnée. On se croit Don Juan, même quand on est Jean Yanne, car tout ce qu’il faut ici, pour plaire, c’est maitriser la langue. Du rouler de pelles à citer La Fontaine, tous à genoux devant la grande donzelle : la langue française, Môsieur. Ortho-graphie, ortho-pensée, la manière bonne, la bonne manière de lire, de séduire, de dire, mêmes les non-dits. Tout a une règle. Rex, regis, le roi est mort, vive le roi. Leroy Merlin, oui !
Bricolos Céline, apprentis Proust, les français se mordent la queue devant l’autel du Phallus, LA littérature. Langue morte, langue vivante, groupies de fellation, la nation en dépit.
Ici on ne bande pas, sauf devant les miroirs.
Et on se moque, ric rac, de la vie en toc outre-Atlantique, des barbies à la barbe-à-papa, on se moque du rose yankee, des grosses lunettes que portent les gros, heureux d’être plein de cette chose, inimaginable en France : la liberté. Faut être con, quand même. Faut être américain.
Le français rêve de se faire enlever une cote pour pouvoir se la faire tout seul, sa pipipe à son pépère. Comme ça, il serait vraiment pénard, le français, entre ses Pléiades et son Cotes du Rhône (un épagneul dort devant le feu, sur la peau de bête, peut-être ?). Seul, mais pénard. Avec près de lui, juste à longueur de bras, cette chose précieuse, magnétique et castratrice, son héritage. Une main sur ses boules, l’autre sur Balzac et que ça danse ! Le terreau de la France, celui-là même qu’on jette sur leurs cercueils d’emprisonnés quand sonne le glas.
Ernest, Ernest, take me home !
1. calie le 14-05-2008 à 19:37:46 (site)
oh, je n'ai pas le courage de tout lire....bonne continuation
Commentaires